Situation d’urgence dans la vallée du Jourdain

« To exist is to resist », devise des habitants de la Vallée

Ce mois de juillet, Oxfam International a rendu public un nouveau rapport intitulé « Au bord du gouffre. Les colonies israéliennes et leur impact sur les Palestiniens dans la vallée du Jourdain ». Si l’ONG analyse de manière approfondie la situation de la région, c’est que la situation des Palestiniens y est catastrophique et ne fait qu’empirer de jour en jour. Récemment, un rapport des chefs de missions de l’UE à Jérusalem avait déjà attiré l’attention sur le délaissement des territoires de la Zone C[1]. Le rapport d’Oxfam ne fait qu’en confirmer les conclusions tout en mettant le focus en particulier sur la vallée du Jourdain.

 

Une population sous pression

 

La vallée du Jourdain a été occupée par Israël en 1967. Auparavant, elle comptait quelque 300.000 habitants. Aujourd’hui, elle n’en compte plus que 53.000 (Rapport Maan Development Center « To exist is to resist. Save the Jordan Valley », 2010). La population est constamment mise sous pression ; elle voit son accès à la terre et à l’eau se réduire jour après jour. Or, composée essentiellement d’agriculteurs et d’éleveurs, ces restrictions sont pour elle d’autant plus désastreuses.

 

Le rapport d’Oxfam fait état du fait que quelque 86% des terres de la vallée du Jourdain tombent sous la juridiction des conseils régionaux des colonies. Si l’on y ajoute l’impact d’autres types de restrictions frappant les Palestiniens, ceux-ci ne peuvent plus exploiter sans entraves que seulement 6% des terres de la vallée.

 

En ce qui concerne l’accès à l’eau, l’accord intérimaire d’Oslo allouait une part quatre fois plus grande de l’aquifère montagneux aux Israéliens. Ce déséquilibre permit le développement de l’agriculture israélienne tandis que celui de l’agriculture palestinienne en fut d’autant freiné. Selon l’ONG israélienne B’tselem, 69% de l’eau en provenance de Cisjordanie commercialisée par la compagnie israélienne des eaux, Mekorot, est extraite de puits israéliens forés dans la vallée du Jourdain. Souvent construits en amont des sources palestiniennes, ces puits ont pour conséquence de les assécher. Ne bénéficiant pas de l’accès à l’eau courante – même si les tuyaux des réseaux de fourniture des colonies traversent leurs terres – les paysans palestiniens de la vallée sont obligés,  pour approvisionner leurs citernes, d’acheter de l’eau à la compagnie, à un prix parfois cinq fois plus élevé que celui de l’eau du réseau.

 

Située à 90% en Zone C, la vallée du Jourdain est donc en grande partie sous administration civile et militaire complète des Israéliens. Abusant de son pouvoir, Israël restreint drastiquement la construction de nouvelles infrastructures palestiniennes. Ces dernières années, 94 % des demandes de permis de construire introduites ont été rejetées. Cela ne laisse d’autre choix aux Palestiniens que de construire sans permis. Et, comme le relève Oxfam, les Israéliens procèdent à la destruction de toute infrastructure, même « vitale », dont ils découvrent qu’elle a été édifiée sans permis.

 

En outre, Israël impose des restrictions à la circulation des populations de la vallée du Jourdain. Toujours selon Oxfam, la région est particulièrement isolée du fait des nombreux checkpoints, en plus des zones militaires, des réserves naturelles, des barrages routiers, des tranchées et des murs de terre, imposés aux Palestiniens.

 

… et réduite à la prolétarisation forcée

 

Face aux petites exploitations familiales palestiniennes, les colonies de la vallée du Jourdain pratiquent une agriculture intensive qui bénéficie de subventions du gouvernement israélien ainsi que d’un accès facilité aux marchés nationaux et internationaux. Le gouvernement israélien a mis en place un réseau routier séparé permettant aux colons de rejoindre aisément Israël. Le rapport d’Oxfam relève en outre que les colons bénéficient d’un accès gratuit aux ports et aux aéroports israéliens.

 

Limités dans leur accès à la terre, à l’eau et aux marchés, de nombreux Palestiniens n’ont plus de moyen de subsistance. Ils sont alors obligés de quitter leur famille et leur exploitation pour chercher de l’emploi ailleurs en Cisjordanie ou de travailler comme main-d’œuvre dans les colonies. Parfois, ils se retrouvent à travailler la terre même qu’on leur a confisquée. De plus, leurs conditions de travail dans les colonies sont déplorables, bien en dessous du minimum requis en Israël. L’Autorité palestinienne a appelé les Palestiniens à éviter de travailler dans les colonies mais n’a, selon Oxfam, trouvé aucune autre alternative à proposer.

 

 

La problématique des territoires de la Zone C

 

Les problèmes de la vallée du Jourdain sont caractéristiques des territoires de la Zone C en général. Selon les accords d’Oslo, l’autonomie de la Zone C était prévue pour 1999, date prévue pour la conclusion de l’accord final. La Cisjordanie devait passer progressivement sous le contrôle de l’Autorité palestinienne. Mais les développements politiques ont paralysé la dynamique d’Oslo et laissé les choses en l’état, avec tout pouvoir aux Israéliens sur les territoires de la Zone C, soit 60% des territoires palestiniens.

 

Le rapport des chefs de mission de l’UE à Jérusalem fin 2011 soulignait déjà  l’importance de cette zone pour la viabilité du futur Etat palestinien. Riche en ressources aquifères et en terres arables et peu peuplée, cette zone est en effet essentielle pour le développement économique et démographique de la Palestine. C’est pour les mêmes raisons qu’Israël a entrepris de coloniser intensivement cette zone, l’objectif central de l’occupation étant d’accaparer le maximum de terres avec le minimum de Palestiniens.

 

Outre les effets de la mainmise d’Israël, le rapport des chefs de mission de l’UE à Jérusalem dénonçait un manque cruel d’investissement de l’Autorité palestinienne mais aussi des donateurs internationaux dans la Zone C. Le rapport encourageait ces acteurs à s’impliquer davantage dans la Zone C, répondant ainsi à l’objectif final d’Oslo. L’invitation semble avoir été entendue par l’Autorité palestinienne qui met en place des programmes de développement dans certains villages. L’UE a laissé entendre qu’elle soutiendrait ces initiatives. Amira Hass, dans un article, met en lumière ce qu’elle analyse comme une « Intifada de zone » et se demande jusqu’où l’AP et l’UE seront prêtes à aller face à Israël (A zoning Intifada, Haaretz, 13 août 2012).

 

Pour Israël, se retirer de la vallée du Jourdain ne semble en effet pas à l’ordre du jour. Au contraire,  le rapport d’Oxfam montre qu’en mai 2011, l’Etat israélien a entrepris de gonfler le volume de terres arables et d’eau disponible pour les colons afin d’augmenter la population israélienne dans la région. Les colonies de la vallée du Jourdain ont ceci de particulier qu’elles exploitent les terres non à des fins de peuplement mais dans un but de rentabilité agricole. Le gouvernement israélien vise donc désormais à consolider sa présence dans la région en en favorisant le peuplement. Un autre fait marquant souligné par le rapport d’Oxfam est que 64% des Israéliens ignorent que la vallée du Jourdain fait partie des territoires palestiniens occupés et non d’Israël. Sachant que, pour relier Jéricho à Jérusalem, il faut à peine une demi-heure par la route des colons, des incitations à s’y installer peuvent rapidement faire mouche auprès de la population israélienne.

 

L’implication de l’UE

 

Les derniers développements mettant en avant un investissement de l’Autorité palestinienne dans les territoires de la Zone C sont encourageants. Un bras de fer va plus que probablement s’engager là-dessus entre Israël et l’Autorité palestinienne. Le soutien de l’UE sera dès lors essentiel. Au-delà des déclarations vides, l’UE et ses Etats membres doivent non seulement exercer de réelles pressions sur l’Etat d’Israël afin qu’il stoppe l’expansion de ses colonies en Cisjordanie, mais aussi soutenir et promouvoir le développement de la population et des infrastructures palestiniennes dans la Zone C. Sinon, il est peu probable que les choses évoluent positivement.(NJO)
Initialement paru dans le bulletin de l’Association Belgo-palestinienne, Palestine n°53, septembre 2012.

 


[1] Pour rappel, selon les accords intérimaires d’Oslo, la Zone C correspond aux territoires de Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est où sont implantées des colonies israéliennes et sont « provisoirement » sous juridiction israélienne. Les colonies de Gaza ont été évacuées.

~ par natjanne sur 13 octobre 2012.

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